Troisième jour de service et déjà une odeur de "ras le bol" qui traîne. Yucheon était venu à Fairy City pour s'habituer progressivement à la foule, mais au lieu de ça on le lâche directement en pleine jungle.
" Que prendrez-vous ? " demande-t-il toujours d'un air blasé et indifférent. Son costard mal ajusté, sa cravate de travers et son petit carnet presque vide en sont les témoins : il n'apprécie pas son job. " Mais il vaut mieux un job de merde que pas de job du tout " se dit-il. Et il n'a pas forcément tort, dans cette ville où toutes les espèces font semblant de se supporter, un bon revenu était une bonne base de défense personnelle. Le souci, c'est qu'un serveur qui tire la gueule et qui est prêt à mettre une mandale au premier client chiant, ça ne fait pas une bonne pub au restaurant, alors Kang, nom de Dieu, fais pas le con et essaie au moins de donner bonne impression. Mais c'est inutile, tu le sais mais tu n'y peux rien ; tu es agoraphobe au dernier degré.
Alors que tu tentes tant bien que mal d'oublier ton passé et de pardonner au genre humain, tes poings se contractent d'eux-même à chaque fois que quelqu'un l'ouvre. Tu les hais, tu les hais tous mais tu te contrains à les supporter. Pourquoi travailles-tu ici ? Pourquoi te donner cette peine alors que tu pourrais voler, piller pour survivre. Pour te fondre dans la masse ? Faire comme les autres ?Tu ne le sais pas toi-même.
Je le sais, alors ferme-la. Je le fais pour m'habituer au genre humain, voilà tout.
Hinhinhin, laisse-moi rire, toi t'habituer ? Tu les connais assez, ils ont détruit ta vie. Non, tu te caches la vérité, tu ne sais même plus où tu en es, tu feintes d'ignorer tes instincts les plus primaires pour ne pas commettre l'irréparable. De toute façon, étant donné ton état d'esprit, tu te feras virer dans peu de temps.
Alors que la soirée est déjà bien avancée, tu sers les dernières tables, celles des fêtards ivres comme tu les détestes. Toi aussi tu prendrais bien une cuite réparatrice de temps en temps, mais tu sais que si tu le faisais tu perdrais le contrôle de ton corps et me céderais la place, ce que tu crains par dessus tout. Alors tu sers, toujours aussi inélégamment, sans sourire mais sans grimace, en t'imaginant que ce que tu fais est utile.
Il est tard, et alors que tu allais fermer, d'autres clients arrivent. Là tu maudis ton patron qui a eu la brillante idée de faire un service 24/24 en été. Tu sens venir la nuit blanche et laisses tomber ta tête sur le comptoir quand personne ne te regarde. Tu es exténué, mais ce n'est pas ça qui t'embête. Comme pour tout, tu crains de me laisser la place. Tu sais ce que je ferai quand j'aurai ton corps, je tuerai tous ces types et te ferai faire ce que tu as toujours voulu faire mais n'a jamais osé. Pour éviter cela, tu te fais un café, puis un autre, et encore un. Mais c'est alors que tu monopolisais la cafetière qu'un client plus étrange que les autres entre. Ton instinct te dit de te méfier de lui, mais moi je te dis de ne craindre personne et d'aller le servir, et tu t'exécutes.
« Bonsoir monsieur, que désirez-vous ? Vous pouvez prendre à manger ou à boire, ou les deux. » fais-tu sur un ton toujours aussi blasé.